Hejer Charf est réalisatrice et productrice canadienne d’origine tunisienne. En 1996, elle fonde Nadja Productions Inc qui se consacre à la production de films d’auteur et de spectacles au carrefour du cinéma et de la musique. En 2018, elle reçoit le Trophée culturel de l’Office des Tunisiens à l’étranger.

Elle réalise plusieurs courts et moyens métrages, des documentaires et des installations visuelles traitant le plus souvent de diversité et de dialogue interculturel. Conçus comme des poèmes, ses courts métrages jouent de l’ellipse et du son pour suggérer plutôt que de montrer.

Pour la Biennale, elle présente son dernier documentaire Béatrice un siècle  qui dresse le portrait de Béatrice Slama, une Tunisienne de confession juive, communiste, féministe et spécialiste de la littérature des femmes. Par son témoignage, Béatrice un siècle nous fait traverser l’Histoire et renouvelle le documentaire d’auteur en entremêlant voix, images, textes, signes, références, idées et espoirs, passé et présent.

« Les formes de l’art enregistrent l’histoire de l’humanité avec plus d’exactitude que les documents. » Adorno. J’ai connu Béatrice Slama dans un cinéma à Paris, elle avait 93 ans, elle est venue voir mon film, Autour de Maïr qui parlait de la littérature des femmes. Elle a pris la parole en premier : « Je vais laisser mes camarades parler de féminisme; j’aimerais parler de la forme du film et de ce long plan noir qui rappelle le cinéma de Duras. » Deux jours après, je dînais chez elle. Je suis sortie enchantée par sa présence précise, par sa parole érudite qui prend la distance nécessaire pour laisser place à la pensée, au hors champ : pour permettre de voir. Je décidai de la filmer. Nous sommes Tunisiennes. Elle, juive. Moi, musulmane. Son regard engagé, savant et ouvert sur le monde étend à l’infini les religions et le pays que nous avons toutes les deux quittés. Béatrice Slama est résolument politique et profondément littéraire; son récit remonte le cours de l’histoire. Sa parole est une source en expansion qui ouvre le film sur d’autres temporalités, d’autres lieux, d’autres images. Elle se raconte avec les mots de Colette et Beauvoir, avec les images de Duras. L’histoire du féminisme est dite par Christine de Pizan et Hubertine Auclert; par les œuvres des femmes dans le cinéma, la photographie et la peinture à travers les siècles.

Béatrice un siècle n’est pas une biographie, ni un témoignage sur le réel ou l’Histoire. Un documentaire est l’exploration du réel par la fiction, par l’imaginaire. Une composition d’images et de sons. « Lorsqu’une société disparaît, ce qui lui survit c’est la forme d’art qu’elle s’est choisie. » Hollis Frampton